04 mai 2024
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« Notre développement continu sous le signe de l'ambition sociale et de l'environnement »

Interview de Jean-Pierre Gorges, président de Chartres métropole.

Jean-Pierre Gorges, président de Chartres métropole

La question sociale, notamment le logement, et le défi énergétique dominent la rentrée. Jean-Pierre Gorges s'en explique largement, d'autant que ces deux problématiques ont été au cœur des derniers débats du Conseil communautaire.

Votre Agglo : Après la Conférence des Maires, le Conseil Communautaire a voté le 28 septembre dernier une motion sur le logement social dans l'Agglomération, qui fait débat avec le Conseil Départemental. Pourquoi ?

Jean-Pierre Gorges : Lors des dernières émeutes urbaines, tout le monde a constaté que des dégradations importantes avaient notamment eu lieu à Lucé et à Mainvilliers, mais que Chartres avait été épargné. Pourtant, ces trois communes adjacentes comportent un nombre élevé, voire très élevé, de quartiers dits sensibles et de logements sociaux : autour de 30% à Chartres, 40% à Mainvilliers et 60% à Lucé !

Pourquoi cette différence ? Partout, l'engagement de la Police Nationale est le même. Bien sûr, la police municipale chartraine est plus nombreuse et son réseau de vidéo-protection plus dense. Mais cette dernière explication est un peu courte : les caméras servent d'abord à prévenir puis à élucider les délits. Elles n'empêchent pas les émeutes.

La vraie différence est celle-ci : à Chartres, le maire que je suis depuis 2001 préside également Chartres Habitat, devenu depuis C' Chartres Habitat, comme le demande à raison la Loi qui a attribué à l'intercommunalité la définition et l'orientation de la politique du logement, et du logement social en particulier. À Lucé et à Mainvilliers, les maires ont peu ou pas de pouvoir réel en matière de logement social, celui-ci étant pour l'essentiel (4000 logements !) la propriété de l'Office Public Départemental. Le maire de Lucé l'a très bien expliqué au Conseil : il ne peut même pas installer des jeux pour enfants sur des terrains qui ne lui appartiennent pas, et qui pourtant abritent 60% des logements de sa commune et près des trois quarts de sa population. Pas de droit de regard non plus sur l'état des logements ni sur l'attribution des logements éventuellement vacants. Et les habitants de lui dire qu'il ne fait rien pour eux ! C'est incohérent et insupportable.

Logement social à Lucé (photo d'archive Mairie de Lucé)

VA : Que demandez-vous ?

JPG : Nous demandons à l'État que la Loi ELAN (évolution du logement, de l'aménagement et du numérique) soit respectée et non plus détournée par des artifices juridiques. Chacun reconnaît que c'est le maire qui est en position de mieux connaître la réalité et les besoins de la population de sa commune. La Loi ELAN demande d'ailleurs le regroupement des différents bailleurs sociaux d'une intercommunalité sous l'autorité du bailleur social investi par celle-ci, chez nous C' Chartres Habitat.

C'est tellement justifié que j'étais arrivé à un accord en ce sens avec l'ancien Président du Conseil Départemental, Albéric de Montgolfier. Le Préfet de l'époque s'y était opposé, mais il est depuis revenu me rendre visite pour me dire qu'il avait fait erreur. Le successeur d'Albéric de Montgolfier était également d'accord sur le principe, les actes n'ont pas suivi. Et l'actuel Président ne veut pas en entendre parler. Et personne officiellement ne sait pourquoi.

Car le logement social, ce n'est pas seulement du béton et des loyers encaissés. Où va d'ailleurs cet argent ? Le logement social, c'est d'abord de l'humain, ce sont des habitants. C'est un travail quotidien de logement et de relogement, appartement par appartement, famille par famille. Il ne suffit pas de s'occuper du contenant, il faut aussi avoir à l'idée un projet social qui améliore la situation des habitants. C'est le premier rôle du maire, sa première compétence, il est aujourd'hui dans l'incapacité quasi-totale de l'exercer. Cette situation n'est pas durable et notre motion demande donc à l'État de faire respecter la loi. Ou alors il ne faudra pas s'étonner que les mêmes causes produisent les mêmes effets. C'est dire si je comprends mal qu'au Conseil communautaire, les maires de Luisant et de Barjouville aient voté contre cette motion. Sans la moindre explication de vote. En joignant leurs voix à celles de l'extrême gauche qui elle, au moins, peut plaider l'argument idéologique habituel.

VA : Vous n'oubliez pas l'enjeu sécuritaire ?

JPG : C'est un combat de tous les jours qui concerne non seulement la zone urbaine, mais toutes les communes périurbaines et rurales. Nous sommes en train de finaliser notre réseau de 500 caméras (et plus si nécessaire) en concertation avec tous les maires qui le souhaitent et le demandent. Elles seront bien évidemment raccordées au nouveau Centre de Supervision Intercommunal (CSI), dont les locaux et les équipements ont été inaugurés à l'intérieur du nouvel hôtel de Ville et d'Agglomération. Ce réseau est déjà naturellement à la disposition de la Police Nationale et de la Gendarmerie Nationale.

VA : Autre motion, également validée à la quasi-unanimité du Conseil communautaire (moins trois voix des Verts et de l'extrême gauche) : celle qui précise vos objectifs en matière de politique énergétique. Pourquoi croyez-vous au couple nucléaire-géothermie ?

JPG : Parce que le nucléaire répond aux réalités et aux besoins de la France. Parce que la géothermie est le type d'énergie qui correspond le mieux aux réalités de notre territoire local. J'ai toujours défendu le nucléaire et aujourd'hui l'État a compris que seule cette énergie 100% décarbonée pouvait fournir la quantité d'électricité nécessaire, croissante, dont notre pays aura besoin dans les prochaines années. Reste pour nous à gérer la situation actuelle, ici, sur notre territoire. Je parle bien sûr des technologies disponibles aujourd'hui.

Ainsi, même si nous sommes, par exemple, favorables à l'hydrogène vert, les solutions techniques qui permettront de le produire en grande quantité ne sont pas encore au point. J'ai dit depuis longtemps pourquoi je ne croyais pas à l'éolien. Entre autres raisons, son intermittence est à mes yeux rédhibitoire. C'est pourquoi nous demandons un moratoire sur l'installation de nouveaux projets ou le renouvellement d'installations existantes. À une exception près, celle de la commune de Theuville, où la Maire soutient un projet de grande dimension démarré dans des communes voisines qui ne font pas partie de l'Agglomération, cohérence oblige. On peut la comprendre.

Mais c'est une autre raison qui nous motive. L'État a adopté une Directive Paysagère qui protège les paysages autour de Chartres dans un rayon de 30 kilomètres, et surtout les centaines de cônes de vues identifiés sur notre cathédrale, dans le cadre de son classement au Patrimoine Mondial de l'UNESCO. Nous ne voulons pas non plus de la méthanisation. Il faut être cohérent : le méthane, c'est du gaz, qui plus est 25 fois plus nocif dans l'atmosphère que le CO2. Alors que nous devons décarboner notre vie et notre économie. De plus, l'épandage des restes, des « digestats », présente des risques importants de pollution de nos ressources en eau, à un moment où celles-ci sont plus fragiles. Je préfère consacrer l'argent de l'Agglomération à améliorer et à sécuriser notre approvisionnement en eau potable et à interconnecter tous nos réseaux divers hérités de l'histoire. C'est un effort d'investissement considérable dans la durée.

Exemple de vue majeure sur la Cathédrale de Chartres depuis Berchères-Saint-Germain

VA : Par élimination, reste la géothermie si l'on comprend bien ?

JPG : N'oubliez pas l'énergie solaire, dans le cadre de l'autoconsommation des entreprises et des particuliers. Si l'on peut réduire sa facture, tant mieux, même si chacun doit bien mesurer le coût de l'investissement et la durée de son amortissement. L'Agglo dispose d'ailleurs d'une Société Publique Locale (Synelva) qui conseille et équipe ceux qui veulent faire ce choix. Nous disposons également de notre usine biomasse, qui fournit de l'énergie et surtout de la chaleur.

Mais la géothermie nous paraît aujourd'hui la solution la mieux adaptée à notre territoire et à nos besoins à moyen terme. Nous l'utilisons déjà, et ça marche, dans le nouvel hôtel de Ville et d'Agglomération, et aussi dans la nouvelle école Guéry. Nous avons lancé les études nécessaires avec l'appui du Bureau de Recherche Géologique et Minière (BRGM), un organisme d'État à la compétence incontestée. Ses ingénieurs vont nous aider à établir une carte précise des possibilités de recours à la géothermie sur le territoire de nos 66 communes.

Nous savons déjà que notre sous-sol s'y prête largement, notamment en recourant à la chaleur de la nappe d'eau de la Craie. Cette énergie est propre, totalement décarbonée, illimitée, simple d'emploi, même si les investissements nécessaires sont importants. Durable aussi, d'autant que nous étudions la possibilité d'y recourir à de grandes profondeurs, 1000 mètres et au-delà. Or la chaleur récupérée augmente de trois degrés par tranche de cent mètres de profondeur… Chartres est déjà une ville pilote en la matière et reconnue comme telle par l'État. Nous demandons à ce que l'Agglomération bénéficie de cette reconnaissance et des aides conséquentes. Car nous avons l'ambition de devenir moteur en France sur l'emploi de cette énergie. En somme, nous essayons de tirer parti des ressources énergétiques possibles de notre territoire, dans un objectif d'autosuffisance.

Le nouvel hôtel de Ville et d’Agglomération utilise la géothermie

VA : Toujours en matière d'énergie, c'est l'Agglo qui finance désormais l'éclairage public dans toutes les communes. Une vraie priorité ?

JPG : Une vraie facture en tout cas, et donc une aide aux communes. Nous sommes devant la nécessité d'équiper en led tous nos lampadaires publics pour des enjeux financiers évidents. Nous voulons également que tous nos réseaux soient enfouis, sécurité et esthétique obligent. Nous avions un programme d'équipement et de réalisation pour les trente années à venir. Je veux que nous allions beaucoup plus vite, car c'est maintenant que nous en avons besoin. Nous allons donc investir en conséquence.

VA : Le développement économique est la première compétence obligatoire d'une intercommunalité. Vos perspectives ?

JPG : Nous développons nos zones d'activités et nous renforçons nos services aux entreprises. Dans l'ancien Grenier à Sel de la place des Halles, à Chartres, nous venons d'inaugurer les nouveaux locaux du Cadr'Ent, c'est-à-dire le guichet unique destiné à toutes les entreprises de l'Agglo et à celles qui envisagent de s'y installer.

Nous développons notre zone d'activités dite des Pôles Ouest et nous préparons l'extension vers le sud du Jardin d'Entreprises aujourd'hui rempli. Je n'oublie pas notre Cité de l'Innovation, installée sur le site de l'ancien CM101. Elle a vocation à grandir encore dans ses activités d'accompagnement des start-up et d'hôtels d'entreprises.

En matière d'infrastructures, nous attendons avec confiance la décision de l'État concernant l'autoroute A154. Je rappelle que c'est l'ancien SMEP (Syndicat Mixte d'Etude et de Programmation) qui regroupaient 39 communes aujourd'hui dans l'Agglomération, qui avait lancé ce projet en 2002. Nous avions tenu alors un raisonnement qu'il convient d'apprécier à la mesure de la situation financière de l'État aujourd'hui : mieux vaut une solution autoroutière payante qu'une 2x2 voies gratuite qui n'existera jamais. Je rappelle aussi que cette autoroute est tout simplement le chaînon manquant, le barreau manquant dans le contournement autoroutier déjà existant autour de la région parisienne, entre Rouen et Orléans. Encore un enjeu de cohérence et d'intérêt général.

Enfin, en matière de transport public, nous lançons le chantier de la première ligne de Bus à Haut Niveau de Service (BHNS) qui va relier l'extrémité de Lucé au quartier de La Madeleine et au futur Parc des expositions de l'Agglomération, près de la sortie est de Chartres, et qui sera achevé l'an prochain. Cette première ligne de BHNS devrait entrer en service courant 2025.

A154, la route se dégage

VA : Vous parlez du Parc des expositions, que devient le projet d'aménagement du Plateau nord-est (PNE) ?

JPG : Ce projet avance. Nous y travaillons depuis 20 ans. Il concerne l'aménagement des 240 hectares de l'ancienne Base Aérienne 122, ainsi que la transformation désormais engagée du quartier de La Madeleine avec ses 8000 habitants qui nous demandent d'accélérer le mouvement. Sur ces 240 hectares se jouent une partie de l'avenir de Chartres et du développement économique de l'Agglomération.

Outre l'Odyssée et le Parc des expositions, nous allons y installer une dizaine d'hectares dédiés aux entreprises tertiaires, des espaces commerciaux complémentaires de ceux du cœur de Ville et d'Agglomération, des logements, un grand parc et des équipements sportifs. Avec tout le stationnement et les réseaux nécessaires, à la mesure des exigences environnementales d'aujourd'hui. L'État s'y intéresse, c'est d'ailleurs lui qui nous a vendu ces terrains et ces bâtiments dont il n'avait plus l'usage. La Ministre Déléguée chargée des PME, du Commerce et de l'Artisanat l'a d'ailleurs intégré dans son Programme de Réhabilitation Commerciale des Entrées de Ville et d'Agglomération, présenté le 11 septembre dernier. Avec les subventions et les aides financières que cela représente. C'est dire l'importance de ce projet, à vue directe sur la cathédrale, à un moment où les grandes entreprises de distribution sont en train de revoir tout leur modèle commercial. Imaginez l'activité économique et les emplois que la mise en œuvre de ce projet va générer.

VA : Le chantier du Pôle Gare de Chartres approche, lui, de sa fin ?

JPG : Trois chantiers sont en voie d'achèvement. La plateforme multimodale va coiffer le parking (déjà en service et doté d'un accès souterrain à la gare) et accueillir les voyageurs des bus et des cars juste au–dessus des voies ferrées. Il sera relié à la ville par la passerelle déjà construite.

Le chantier voisin du Colisée, ce complexe culturel et sportif qui manquait à l'agglo, sera terminé dans le courant de l'année prochaine.

Enfin, les projets immobiliers, logements, services et commerces avancent bien. Ils apporteront toute sa dimension à ce véritable quartier de 32 hectares. Tout ceci devrait être terminé pour 2025.

Pour résumer, Chartres métropole continue son développement, en intégrant encore davantage les besoins sociaux et les impératifs environnementaux.